
Dans la famille Ezechiel, c’est Antoine qui mène le jeu. Avec son « nom de savane », choisi pour embrouiller les mauvais esprits, ses croyances baroques et son sens de l’indépendance, elle est la plus indomptable de la fratrie. Ni Lucinde ni Petit-Frère ne sont jamais parvenus à lui tenir tête. Sa mémoire est comme une mine d’or. En jaillissent mille souvenirs-pépites que la nièce, une jeune femme née en banlieue parisienne et tiraillée par son identité métisse, recueille avidement. Au fil des conversations, Antoine fait revivre pour elle l’histoire familiale qui épouse celle de la Guadeloupe, depuis la fin des années 40 : l’enfance au fin fond de la campagne, les splendeurs et les taudis de Pointe-à-Pitre, le commerce en mer des Caraïbes, l’inéluctable exil vers la métropole…
Intensément romanesque, porté par une langue vive où affleure une pointe de créole, Là où les chiens aboient par la queue embrasse le destin de toute une génération d’Antillais pris entre deux mondes.
« Là où les chiens aboient par la queue » : c’est le petit nom, que donnent les Antillais à Morne-Galant. Ce roman se compose de trois parties : Morne-Galant, Pointe-à-Pitre et Paris. Le récit nous décrit l’histoire d’une famille et par la même occasion celle de la Guadeloupe. Ce livre a une particularité. Il relate les confidences d’une fratrie : Antoine (Apollone), Lucinde et Petit-Frère. Ils racontent leurs souvenirs, leurs impressions, leurs espoirs et leurs déceptions. Les propres souvenirs de la fille de Petit-frère (Eulalie) s’intercalent ici et là.
Estelle-Sarah Bulle promène le lecteur sur une période s’étalant de la fin des années quarante à la fin des années 2000. Au travers des personnages, elle décrit les profonds changements culturels et sociétaux en Guadeloupe. Elle aborde la rébellion de 1967, les malversations politiciennes, le racisme, la pauvreté, la liberté, le courage, l’urbanisation avec les premières HLM, les départs pleins d’espoir vers la Métropole.
Je dirai que ce roman reste avant tout l’histoire d’une famille, aux membres tellement différents, qu’on a du mal à croire qu’il s’agisse d’une fratrie. Cette saga familiale, sur plusieurs décennies, lève le voile sur plusieurs faits concernant la Guadeloupe, tant qu’historiques que culturels. Je n’ai pas eu l’impression d’un parti pris, juste une pointe d’incompréhension de temps à autre de la part de la narratrice. J’ai surtout ressenti une recherche de soi-même, que ce soit pour s’épanouir ou que ce soit pour trouver son identité.
Je conseille ce roman aux personnes intéressées par l’histoire de la Guadeloupe et tous les lecteurs, qui aiment les sagas familiales. Estelle-Sarah Bulle semble avoir une plume prometteuse.
La lecture de ce roman a fait surgir mes souvenirs guadeloupéens et remis en mémoire les propos que j’y ai entendus lors d’un séjour en 2019. J’ai apprécié les petits bouts de créole parsemés ici et là. Je n’ai pas trouvé une fluidité exceptionnelle, du fait que j’ai eu plusieurs fois l’impression de repartir en arrière. Je pense que cette impression est due au fait que quatre personnes parlent de leurs souvenirs. Ce livre m’a apporté beaucoup d’éléments que je ne connaissais pas sur ce territoire : j’ai apprécié ce point.
A bientôt pour un nouvel océan de mots…
Notes, 😉
ISBN : 979-10-349-0175-3
Prix Stanislas du premier roman 2018, Prix carbet de la Caraïbe – tout monde 2018, Prix APTOM 2018, Prix Eugène-Dabit du roman populiste 2018